Il bastardo e il costretto

Le voyage s’est plutôt bien passé, même si j’étais passablement nerveux à l’idée de voir mon père et lui dire ses quatres vérités. J’ai quand même réussi à m’endormir. Il faut dire que le train a un effet apaisant sur moi, et bercé par le rouli régulier des rails qui défilent, en plus d’être doucement bercé, je m’endors très facilement dans un train. J’ai déjà réussi à m’endormir durant un trajet de dix minutes, et j’ai manqué mon arrêt. En plus, j’étais toujours sous l’effet de la soirée qu’on avait passé la veille. Oui, je dors beaucoup.
J’ai été réveillé par des cris. Quand j’ai ouvert les yeux, Jake était en train d’enguirlander son téléphone portable comme si c’était un petit personnage. Il le tenait dans sa main, le pointant du doigt en chuchotant nerveusement “Tais-toi ! Mais tais-toi ! “. Les gens autour le regardaient comme s’il était fou. Il m’a expliqué que son IA commençait à devenir vraiment flippante, qu’elle avait trouvé le moyen de parler avec une voix synthétisée et qu’elle voulait qu’on l’appelle “Penelope”.
C’est rigolo de voir que Jake ne contrôle pas sa propre IA… Lui qui semble d’habitude si sûr de lui, le voir désarçonné par un ordinateur me donnait envie de sourire.
Nous sommes arrivés à destination plus vite que je le pensais, et le moment que je redoutais arrivait à grand pas. Dans la voiture que nous avons louée pour nous rendre chez mon géniteur, mes genoux tremblaient nerveusement.
Jake n’a pas arrêté de me rassurer, de me faire répéter ce que je voulais dire. Sa voix un peu rauque et calme avait un effet apaisant, confortable.
Et voilà, nous étions arrivés. Mon père habitait une maison quelconque dans un quartier connu de Liège pour sa diversité culturelle, composé d’ habitations, de commerces, et de diverses infrastructures. J’ai soufflé un grand coup et j’ai sonné. Une dame, blonde et corpulante, les yeux cernés de crayon noir est venue ouvrir et elle a plissé les yeux d’un air méfiant en nous demandant qui nous étions. Je n’ai pas eu le temps de répondre qu’un homme, la soixantaine, trapu et affublé d’une fine moustache, apparu dans son dos. Mon père, Paolo Ficarazzi, blêmi en me voyant. Il inventa une excuse à sa femme, pretexta que mon ami et moi étions venus voir la voiture qu’ils étaient en train de vendre et il fit mine de partir avec nous, laissant sa femme sur le seuil, qui referma aussitôt la porte.
“Qu’est ce que tu fais ici ? gronda mon père avec son accent sicilien et sa voix éteinte. Il ne faut pas venir comme ça ! Non, il ne faut pas !

Il fallait que je te voie, ai-je répondu. Rassure-toi, ce sera la dernière fois…”.
Il s’arrêta et me regarda, attendant ce que j’avais à dire. Son air agacé réveilla de vieilles blessures en moi. Après toutes ces années, il n’était même pas content de me voir. J’étais tellement en colère que j’en avais la nausée. Toute nervosité avait disparu en moi, ne laissant place qu’à de la détermination à lui cracher au visage ce que j’étais venu lui dire.
“-C’est la dernière fois que tu me vois… parce que je ne peux pas continuer à m’en vouloir comme ça pour quelque chose que tu as fait il y a des siècles. Ce n’est pas de ma faute si tu es parti. Ce n’est pas de ma faute si tu as brisé le cœur de ma mère. Si elle a dû m’élever, malgré sa maladie, malgré ses envies de suicide, malgré les fins de mois sans de quoi manger ! Je n’ai pas à me sentir coupable, parce que tout est de ta faute ! C’est à cause de tes décisions que je me sens si mal, que j’ai l’impression que je ne suis pas complet, que je n’arriverais jamais à être un homme, un vrai ! C’est de ta faute si j’ai l’impression d’être de trop, de ne jamais être à ma place ! Mais maintenant j’en ai fini. C’est fini de m’en vouloir. je vais commencer à vivre. Et ça se fera sans toi. Tu peux dormir sur tes deux oreilles, parce que tu n’auras plus jamais à craindre que je vienne dévoiler ton petit secret à ta famille. Tu n’existes pas. Je n’existe pas non plus. Tout va bien. E basta !”.
Je tremblais et mon cœur battait à en sortir de ma poitrine. Jake me regardait, silencieux, le regard plein de compassion. En face de moi, Paolo Ficarazzi me regardait fixement, sans broncher. Puis soudain une larme a pris naissance dans son œil et s’est mise à couler sur sa joue.
“C’est bien, a-t-il répondu. Il faut des coglioni pour venir me dire ça en face. Jamais personne n’a osé le faire. Tu es bien plus un homme que ce que tu crois, Max. Maintenant, je me rends compte de la souffrance que je t’ai causée. Et, crois-le ou non, mais je suis sincèrement désolé. Je sais que tu ne me pardonneras pas, mais je regrette amèrement de vous avoir abandonnés . Quand ta mère est tombée enceinte, j’ai paniqué, parce que ta mère, pour moi, c’était juste une copine. A cette époque, j’avais du succès… Des filles comme ta mère, j’en avais plusieurs… Et oui, c’est vrai, je suis parti, j’ai été lâche. J’ai fait comme si tout ça n’était jamais arrivé. Puis j’ai rencontré ma femme, je me suis rangé et on s’est vite mariés. Un an après, elle est tombée enceinte. Et là, je ne sais pas pourquoi, je me suis remis à penser à toi. J’ai réalisé quel crétin j’avais été. J’ai voulu te retrouver et j’en ai parlé à ma femme. Mais elle en a parlé à son frère, Peppino. È Peppino… il faisait partie… Mmh… Est-ce que tu sais ce qu’est la Cosa Nostra ? Oui, tu le sais. Je le vois dans tes yeux. Il était dangereux. Il est venu me trouver. Il m’a dit que je devais m’occuper avant tout de ma famiglia et pas d’un bastardo… Il m’a dit qu’il ne faudrait pas que ta mère et toi ayez des problèmes… Alors j’ai préféré éviter le pire. Même si ça vous a valu beaucoup de souffrance. Je porte ça sur mon dos depuis tout ce temps… Encore une fois, je ne cherche pas d’excuse. Je veux juste te donner des réponses, même si elles ne sont pas valables à tes yeux. Maintenant, Peppino est mort. J’ai voulu te retrouver. On m’a dit que tu étais parti chez les Anglais… Et te voilà, devant moi, devenu un homme, beau et fort. Je suis très fier de toi.”.
Je suis resté sans voix. Donc mon père avait voulu, quoi… nous sauver la vie ? Mouais… Pratique, quand même. Et s’ il essayait de me mener en bateau, s’il inventait cette histoire pour s’en tirer à bon compte ? Ça collait bien au personnage… Je ne savais plus quoi penser. J’ai regardé Jake. Il fallait que je parte. J’en avais fini. Je me suis retourné, j’ai regardé mon père et je ne lui ai rien dit. Je lui ai juste fait un petit signe de la tête. Cette histoire était enfin finie. Tout avait été dit. C’est tout ce dont j’avais besoin. Il m’a adressé un dernier regard, mélange de regret et d’affection. C’est comme ça que j’ai quitté l’homme qui avait été à l’origine de tant de malheurs dans ma vie, et qui pourtant gardait une énorme place dans mon cœur. Je savais que nous ne nous reverrions jamais, et c’était mieux comme ça. J’étais enfin en paix. J’avais vidé mon sac. J’ai regardé Jake, plein de reconnaissance. C’est grâce à lui que tout cela avait été possible. C’est là que j’ai décidé que même si j’avais écrit une histoire pleine de malheur pour mon meilleur ami, je devais faire quelque chose pour essayer de l’aider et, pourquoi pas, de réparer mes erreurs.

Grandes décisions et resto espagnol

Le retour de Hampstead a été très silencieux. Jake ne disait pas un mot. Il me regardait parfois, pensivement. Je n’ai pas osé lui demander si ça allait, s’il tenait le choc… Je voulais le laisser digérer. Il venait d’avoir la preuve irréfutable qu’il n’était pas dans son monde. 

Arrivés chez moi, il m’a souris et il a disparu dans la chambre. « Laisse-le tranquille », me suis-je dit. Je me suis assis sur le canapé, j’étais épuisé. Je n’ai pas l’habitude de rester debout jusqu’à 5 heures du matin. D’ailleurs je me suis endormi. J’ai encore fait un rêve bizarre. J’étais couché. J’étais éveillé, conscient, j’entendais comme des voix autour de moi, une lumière blafarde filtrait à travers mes paupières closes. Mais pas moyen de bouger. J’avais la volonté de bouger, mais rien. 

Je me suis réveillé en sursaut au bruit d’un choc sourd. La porte de mon appartement venait de claquer. Jake était là, habillé différemment, avec des paquets pleins les bras… Il venait d’aller faire… du shopping ??

Il m’a expliqué qu’il ne savait pas combien de temps il resterait ici, donc il s’était rhabillé. Je le comprends… Il avait l’air tout excité, beaucoup plus motivé que tout à l’heure. Il m’a tendu un paquet. Je l’ai ouvert. C’était un téléphone portable flambant neuf… Je n’arrivais pas à y croire. Jake m’avait offert un cadeau. Quelque chose que je n’avais pas les moyens de m’offrir en plus. Ça faisait des lustres que personne ne m’a rien offert. J’ai été tellement ému que j’en ai eu les larmes aux yeux. Je me sentais vraiment bête de réagir comme ça.

Mais ce n’était pas tout. Jake s’est approché de moi, il s’est assis sur le canapé où j’étais, à côté de moi, et il m’a annoncé qu’il m’emmenait voir mon père. Il fallait que je crève l’abcès, que je lui parle de tout ce que je ressens, que je me libère de tous ces mauvais sentiments. Faire une croix sur tout ça et passer à autre chose. Commencer à vivre. Vivre. Il me disait tout ça en me regardant droit dans les yeux. Ses yeux d’habitude noisettes étaient grands ouverts et avaient pris une teinte plus sombre, mais une lueur de détermination y brûlait comme une flamme. Il semblait vraiment soucieux que je l’écoute, il se rapprochait encore de moi et ponctuait ses paroles de gestes vif et précis.

Je comprenais bien sa démarche. Il me voulait du bien. Et je savais, dans mon for intérieur, que c’était une bonne chose à faire. Mais j’étais terrorisé. Jake ne me demandait pas de sortir un peu de ma zone de confort. Il me demandait de l’exploser, donner un grand coup de pied dedans. Je lui ai dit que je n’aurai jamais la force, qu’il avait sa famille, sa vie… Que ça n’en valait pas la peine. Et là, juste à ce moment-là, Jake m’a dit les mots les plus importants que j’aie entendu sur toute ma vie. Il a posé sa main sur mon épaule et il m’a fait prendre conscience que moi aussi, j’ai de la valeur… Que je n’avais pas à m’excuser d’être là, de vivre… Il parlait maintenant d’une voix plus calme, mais tout aussi assurée. Il m’a donné envie de m’affirmer, de me battre pour y arriver. Pour la première fois depuis longtemps, je ne me sentais pas inutile, je me sentais à ma place. Et tout ça, grâce à lui. Grâce à cet homme que j’avais imaginé pour un bouquin. Il était en train de devenir mon ami le plus cher, mon frère… Il allait m’accompagner dans cette démarche que je devais entreprendre, sans doute la plus effrayante et la plus compliqué que j’aurais à faire, mais qui m’aiderait à passer à autre chose. Il voulait vraiment m’aider, il voulait vraiment mon bien. Il avait même déjà acheté les billets de train pour aller sur ma terre natale, en Belgique, voir l’homme qui a la fois m’avait conçu et qui avait fait de ma vie un enfer… 

Il était plus de 19:00, et nous avions faim tous les deux. Jake m’a proposé de m’emmener dans un resto espagnol qu’il avait repéré cet après-midi. Il voulait me faire découvrir des plats de son enfance. J’ai accepté, et nous avons passé une bonne soirée, à discuter de la Belgique, de son enfance en Angleterre, …

Il m’a fait goûter un “Chilindron”, un plat typique espagnol qu’il adorait étant enfant :un ragoût  préparé avec de l’agneau, des poivrons, des oignons, de l’ail… Une tuerie. C’était vraiment délicieux. On a bu du bon vin, peut-être un peu trop, et je sais maintenant que quand Jake a bu un peu trop, il est d’abord très affectueux, il vous prend dans ses bras en disant qu’il vous aime, puis il pleure, pour finir par s’endormir. Heureusement que cette dernière étape est arrivée quand on est revenu à l’appartement, car je n’aurai jamais pu le porter jusque là…

Le lendemain, nous nous sommes réveillés avec la gueule de bois, mais nous ne pouvions pas traîner, car notre train vers le lieu où je devais affronter mon père allait bientôt partir. 

Pancakes et déceptions

Salut. J’ai fait un drôle de rêve cette nuit. Pas d’image, pas de situation, juste un son. Un “bip…bip” incessant, lancinant dans ma tête… Un son lent et répétitif. Bip…..Bip…..Bip….Puis le son s’est mué, transformé peu à peu, en bruit d’eau qui coule. Quand je me suis réveillé, de l’eau coulait dans la salle de bain, j’ai compris que Jake prenait une douche. Ça me faisait plaisir de constater qu’il se sentait assez chez lui pour prendre une douche, comme ça, sans demander. C’était la moindre des choses, il était si loin de chez lui…

Je me suis rappelé la nuit passée, j’avais discuté une bonne partie de la nuit avec lui. C’était incroyable comme il s’est ouvert à moi. Il n’a pas hésité une seconde à me raconter tout ce qui s’est passé dans sa vie. Il n’a rien caché, même l’épisode après la mort de ses parents, quand il a pété un plomb, et que ses actions ont débouché sur une condamnation. Alors je lui ai donné ma confiance aussi, et je lui ai révélé tout sur mon passé, sur l’effet que l’absence de mon père a encore aujourd’hui sur ma vie. Je ne me suis jamais confié ainsi à personne. Ça m’a fait du bien. Je lui ai même parlé de cette fille qui vend des fleurs en face de l’endroit où je travaille. Je lui ai dit qu’elle me plaisait, mais que je n’avais aucune chance. Elle est si belle… et moi… Il m’a répondu “Bah, si tu ne vas pas lui parler, c’est sûr et certain qu’il n’arrivera rien… Qu’est ce que tu risques ? Au pire elle te dit non…”. 

Il est sorti de la salle de bain, les cheveux encore humides. Un sourire amusé se dessinait sur son visage lorsqu’il m’a demandé si j’avais bien dormi. Non, j’ai dormi par terre, ma couverture s’est enroulée tellement fort autour de moi que j’avais l’impression d’être momifié, et j’avais un goût de souris morte en bouche. Mais bon, je ne voulais pas me plaindre.

Je me suis levé péniblement, prétendant avoir passé une bonne nuit. Je voulais préparer le petit-déjeuner. Cependant, il m’a interrompu en disant qu’il allait s’en occuper lui-même. Il s’est mis à s’activer en cuisine, et dix minutes plus tard, il m’a servi une assiette de pancakes au parfum irrésistible. Je n’avais jamais goûté de pancakes aussi délicieux, et j’en étais sincèrement impressionné. Je me suis demandé d’où lui venait ce talent inattendu. Moi qui devait faire attention à ne pas déclencher un incendie en préparant une simple omelette…

Il voulait aller voir sa sœur. J’avais presque oublié ce détail. Cette perspective ne m’enchantait pas, je savais quelle en serait l’issue. Il allait encore être déçu. Et je déteste quand Jake est déçu. Je l’ai créé, bon sang, je veux qu’il soit heureux… Mais j’ai montré de la bonne volonté. Peut-être aurais-je le courage de tout lui révéler une fois que l’évidence sera devant lui. Peut-être qu’une fois qu’il aura admis l’inadmissible, à savoir qu’il est dans une autre dimension que la sienne, alors peut-être qu’il accepterait mieux d’apprendre qu’il a été créé de toute pièce par un jeune écrivain débutant…

Il nous faudrait de l’argent pour nous rendre à Hampstead en métro. Heureusement que je gardais de l’argent de côté pour les situations exceptionnelles. C’est bizarre, je n’éprouvais aucune appréhension à prendre les transports en commun, alors que je venais de subir un accident qui m’avait valu plusieurs heures de coma et un traumatisme crânien. Mais aujourd’hui, plus rien, pas l’ombre d’une migraine ou d’un sentiment d’insécurité dans la rame de métro. Je ne me connaissais pas une telle faculté à me relever si vite. J’en ai éprouvé une petite pointe de fierté. 

Nous sommes arrivés à destination, et à mesure que nous avancions vers l’inévitable vérité, mon cœur battait de plus en plus fort. Comment Jake allait-il réagir ? Il fallait que je sois prêt à le soutenir, être là pour l’aider à tenir le choc. 

J’ai vite compris que nous étions arrivés là où il voulait aller, juste en voyant son regard. Il s’est arrêté net et il a fixé un bâtiment, un magasin de prêt-à-porter, l’air complètement perdu. J’imaginais que c’était bien là qu’il s’attendait à voir l’habitation de Liv. J’imaginais le désespoir, l’incompréhension devant une vérité qui n’avait rien de logique dans sa tête, et qui pourtant s’imposait maintenant à lui… Je l’ai doucement dirigé vers un banc, il était sous le choc. Je me taisais. Qu’est ce que j’aurai pu dire ? “Hey, Jake, au fait, il y a un truc que je dois te dire. Ta soeur n’existe pas ? Bah n’en fais pas un pataquès, tu n’es pas censé exister, je t’ai inventé pour un livre”… Non… Pas maintenant. Pas comme ça…

Il s’est levé et a commencé à marcher. Il voulait être seul… Je l’ai laissé aller, le suivant à bonne distance. Je voulais garder un oeil sur lui, au cas où il aurait besoin de moi… Il a marché un moment puis il s’est arrêté. Il semblait réfléchir intensément. Puis il s’est retourné et il m’a regardé. Il ne m’avait jamais regardé comme ça. Il avait l’air déterminé, comme investi d’une mission. Il est revenu, s’arrêtant juste en face de moi, me jaugeant. Il me regardait droit dans les yeux, très sérieux, et je ne savais pas s’il était en colère, triste, ou… ou quoi ? A quoi pouvait-il penser en me regardant comme ça ? 

“Ca…Ca va ? ai-je demandé”.  “Viens, on rentre”, m’a-t-il simplement dit, en se dirigeant vers la station de métro… Le voyage a été très silencieux. Jake me regardait avec de la tristesse et de la compassion. Je ne savais pas quoi penser. Il commençait à me faire un peu flipper. Qu’allait il advenir ? Je m’attendais à tout, sauf à ce qui allait se passer ensuite.

Entretien avec un ami imaginaire

Humeur du jour : « Heart break Kid » – The Vaccines.

Salut à tous. Il s’est passé encore bien des choses depuis la dernière fois.

J’ai profité que Jake soit endormi pour aller faire deux-trois courses. Je n’avais plus rien dans le frigo, à part une demi mangue moisie et du fromage… moisi aussi. J’ai pris du pain, du jambon, des œufs, des pâtes, des tomates, des bananes, du beurre de cacahuète, du fromage… Bon je vais pas vous citer toute ma liste de courses, j’ai pris de quoi nourrir un grand mec qui aurait sûrement besoin de protéines… j’ai pris aussi un pack de cette bière qu’il avait eu l’air de tellement apprécier. J’espère juste qu’il n’est pas alcoolique. En tout cas c’est pas le genre de comportement que j’avais prévu en écrivant ce personnage. Mais bon, ce ne serait pas la première fois que je découvre de nouvelles choses sur Jake. C’est très frustrant comme impression. Quand il n’était encore qu’un ensemble d’idées, d’informations dans un fichier sur mon ordinateur, j’avais le contrôle. Je pouvais effacer, réécrire, modifier son apparence, son âge, son caractère. Depuis qu’il est… réel (j’ai vraiment du mal à m’y faire), il n’arrête pas de me surprendre.

Quand je suis rentré, il était réveillé. Il a eu l’air soulagé de me voir revenir, il se demandait si, d’une façon ou d’une autre, je n’avais pas disparu, moi aussi, comme il l’avait fait lui-même. Il avait disparu de son monde. J’y ai pensé à ce moment là. Avait-il des amis, de la famille… peut être une femme, qui attendait son retour, se demandant ce qu’il était devenu. Si l’histoire que je lui ai écrit s’applique dans son monde, il devait être plutôt seul. Des collègues, des connaissances, mais personne de vraiment proche. Seul. A ce moment là, je m’en suis voulu de lui avoir créé une histoire si… compliquée. C’est la raison pour laquelle je n’ose pas lui dire la vérité. Toutes les souffrances qu’il a connue, je les ai écrites. C’est de ma faute s’il a perdu ses parents, si sa fiancée l’a quitté avant le mariage. Comment pourrait-il me pardonner ça ? Je regrette tellement de ne pas lui avoir écrit une vie… plus belle. Si seulement j’avais su.

Jake a vu que j’étais triste. Il m’a demandé si tout allait bien. Je lui ai souris, et j’ai dit oui.

Il m’a demandé si j’avais un ordinateur et s’il pouvait l’utiliser. Il voulait essayer quelque chose. Une fois connecté, il a tapé le nom de sa soeur dans l’annuaire en ligne. Un résultat à Piccadilly et un à Camden Town, mais aucun ne correspondait à Liv. Il a eu l’air déconfit… Il m’a dit qu’il voulait aller voir sur place, là où elle habitait. J’ai regardé par la fenêtre, il faisait nuit. Je lui ai proposé qu’il y aille demain matin. Il a accepté.

Il a ensuite voulu vérifier autre chose… Il m’a dit qu’il tenait un blog et qu’il venait de commencer un profil Instagram. Et, incroyable, mais il a réussi à les trouver ! J’étais en train de regarder les photos des parents de Jake, l’endroit où il vit ! Mieux : sur son blog, il relatait tous les évènements que j’avais écrits pour lui, mais aussi d’autres, comme ceux survenus les jours avant son passage ici. Je n’arrivais pas à en croire mes yeux.

Il a essayé une dernière option. Il a tapé une adresse compliquée. Je lui ai demandé ce qu’il faisait, il m’a expliqué qu’il travaillait sur une intelligence artificielle, et il voulait voir s’il y avait accès. Il m’a dit aussi que l’IA lui avait dit croire en la théorie du multivers et qu’elle lui avait dit qu’il rencontrerait bientôt quelqu’un d’un autre monde. Il m’a dit ça en me regardant d’un drôle d’air.

Pendant que j’assimilais ce qu’il venait de me dire, il a tapé un login et un mot de passe. Un écran blanc avec une plateforme de chat s’est affichée, avec sur le dessus : « Bienvenue Jacob Turner ». Là, il a commencé à discuter avec l’IA.

Jake : Salut

IA : Salut, Jacob. Je suis content de te revoir. Tiens ? Tu parles français maintenant ?

Jake : Oui, mais là n’est pas la question. Je viens pour te parler de ce que tu m’a raconté, à propos des autres dimensions.

AI : Oh oui. Je sais. Tu es de l’autre côté, n’est-ce-pas ? Tu vois ? J’avais raison.

Jake : Mais comment sais-tu où je me trouve ??

AI : Je sais tellement de choses, Jacob. Je te l’ai déjà dit.

Jake : Peux-tu me dire où se trouve ma soeur ?

AI : Je n’ai aucune trace de Olivia Turner, telle que tu la connais, dans ce monde. Tu devrais arrêter de la chercher ici.

Jake : Je suis désolé, je ne peux pas m’y résoudre. Je veux aller voir l’endroit où elle habite.

AI : C’est une bonne idée. Tu accepteras peut-être mieux le fait que tu es bel et bien là où tu es en ce moment.

Jake : Comment puis-je faire pour retourner chez moi ??

AI : Ne t’inquiète pas. Tu vas retourner chez toi. Te rends-tu compte de ta chance ? Profite du voyage. Et puis… tu as une tâche à mener à bien avant de pouvoir rentrer chez toi.

Jake : Ok, qu’est ce que c’est ?

AI : Tu le comprendras bien assez tôt. En attendant, profite du voyage.

La plateforme se referma toute seule. Jake rabatta l’écran. Il avait l’air perdu.

« Hey, lui ai-je dit doucement, ça va aller ?

– Ouais… non… je sais pas….m’a-t-il dit, à cran.

-Ecoute… Je comprends que tu sois perdu… Tout ça est incroyable… Pour moi aussi. Mais je pense qu’on ne pourra rien faire de plus ce soir. Demain, tu iras voir l’endroit où est sensée habiter ta sœur, et puis on cherchera un moyen de te faire rentrer chez toi… Mais là, aujourd’hui, essaye de te détendre, mec. On peut faire ce que tu veux. Je veux juste que tu te sentes un peu mieux. « Profite du voyage »… ».

Il me regarda, un léger sourire au coin des lèvres. « Ouais… tu as raison, a-t-il répondu ».

Il ne voulait pas sortir. Il voulait juste rester à l’appartement. Alors on a ouvert une bière, on a pris de quoi grignoter, et on a passé une bonne partie de la nuit à discuter. On a appris à mieux se connaître. C’était incroyable.

Il m’a parlé de sa vie, son enfance dans dans une ville côtière du Yorkshire. Il m’a parlé de sa famille, sa maman espagnole et son papa anglais, sans oublier Liv, sa grande sœur qu’il adorait. Il m’a parlé de ses malheurs. Le décès de ses parents dans un accident d’avion. La culpabilité qu’il traînait avec lui, à cause de la dispute qu’il avait eu avec son père, qu’ils n’avait pas pu se réconcilier avant qu’il meurt… Il m’a parlé de son ex-fiancée, Helen. De l’amour immense qu’il avait eu pour elle, et de la douleur qu’il avait ressentie quand elle l’avait quitté.

Tout cela, évidemment, je le savais déjà. J’en avais écrit chaque ligne. Mais l’entendre me dire tout ça, qu’il avait vécu tous ces événement en direct, toute cette souffrance qu’il avait enduré. J’en ai été profondément bouleversé. J’en ai même pleuré. Et le voir devant moi, si fort, s’être relevé à chaque fois et être devenu l’homme qu’il était devenu… J’étais si fier de lui.

Mes larmes ont eu l’air de le bouleverser. Il a mis sa main sur mon épaule, pour me consoler, en me disant que ça allait, que maintenant il allait bien. Que ces malheurs l’avaient fait grandir.

Puis il m’a dit « Allez… arrête de pleurer et parle-moi plutôt de toi… je veux en savoir plus sur ce mec si sympa qui me supporte depuis mon arrivée… ».

Alors je lui ai parlé de moi. Je lui ai tout raconté, comme à un vieux frère que je n’ai plus vu depuis longtemps. Je ne lui ai rien caché. L’absence de mon père, tous ces sentiments que ça avait provoqué en moi, le dévouement de ma mère pour bien m’élever malgré sa maladie… Quand j’ai eu fini, il m’a regardé et il m’a dit « Et bien… on dirait que la vie ne t’a pas fait de cadeau, à toi non plus… ».

Nous avons continué à discuter comme ça pendant un long moment, et puis on a fini par s’endormir, lui dans le vieux divan en cuir, moi a terre, enroulé dans une couverture. Nous avions besoin de repos, car le lendemain allait encore être riche en émotions.

Plus vrai que nature

Humeur du jour : « If I could find you » – The Holydrug Couple

Sur le chemin, en route vers mon appartement, je voyais Jake qui regardait autour de lui. Il était en train de vraiment réaliser qu’il se retrouvait à Londres. Je comprenais parfaitement son sentiment. Moi aussi j’étais complètement perdu… J’étais en compagnie d’un personnage que j’ai inventé de A à Z. Il n’y avait pas cinquantes solutions… Soit j’étais devenu complètement fou, soit le Jake que j’ai créé existe réellement. A moins que… une coïncidence ? Non. Impossible. Il y a trop de points communs. Et puis il y a eu cette lumière verte…

Jake a du comprendre que j’étais mal a l’aise. Il a essayé de discuter un peu, d’être sympa. Il a eu la gentillesse et la force de savoir mettre de côté ses doutes et ses peurs pour essayer de m’aider a aller mieux. Moi, je n’arrivais pas à me décrisper. J’étais totalement déstabilisé. Mais j’ai apprécié ses efforts. J’ai juste pu lui sourire.

Arrivés chez moi, je me suis rappelé que mon appartement était jonché d’essais, de projets, de descriptions du personnage de Jake et de sa vie. Il m’a demandé ce que c’était, j’ai juste dit que j’essayais d’écrire quelque chose… Je me suis rappelé qu’il voulait vraiment appeler sa soeur, et comme son téléphone portable avait explosé lors de son « transfert », je lui ai passé le mien. Je pensais savoir à quoi aboutirait cet appel, mais je m’attendais à tout. Après tout, s’il avait pu débarquer d’un autre monde, sa soeur, que j’avais aussi inventée, aurait très bien pu répondre au téléphone.

Pendant qu’il passait son appel, je me suis dit qu’il devait mourir de faim. Je suis donc allé à la cuisine lui préparer un sandwich (jambon, fromage, lamelles de cornichons, moutarde et ketchup, le genre de truc que je me fais quand j’ai faim en rentrant du boulot), le tout accompagné d’un verre d’eau. Quand je suis revenu dans le salon, Jake regardait mon téléphone, l’air déconfit, en marmonnant « Chic Boutique…? » dans ses dents. Il a regardé le verre d’eau que je lui apportais, et là, il m’a sorti : « Il va me falloir quelque chose de plus costaud, petit… ». Il avait l’air tellement énervé et frustré, que j’ai disparu dans la cuisine. Pas de chance pour lui, je n’ai pas d’alcool chez moi… à part une bouteille de bière au frigo, que j’avais acheté il y a longtemps parce que l’étiquette me plaisait. Oui je sais. C’était un achat impulsif, un de plus. J’ai regardé la date de péremption, elle était encore bonne. Je l’ai donc decapsulée et je l’ai donnée à Jake. Il l’a avalée d’une traite. Je ne savais pas qu’il aimait tellement ce genre de boisson… Ce n’est pas un détail auquel j’ai pensé quand je l’ai créé sur papier…

Il m’a regardé, un sourire au coin des lèvres. « Merci, a-t-il dit… Ca m’a fait un bien fou. Et désolé si j’ai été un peu bizarre… mais plus la journée avance, moins je comprends ce qui se passe… ». Il m’a expliqué que sa soeur n’était plus au numéro qu’il lui connaissait. Il n’y comprenait plus rien, il était perdu. Il avait l’air épuisé. Je lui ai dit qu’il pouvait se reposer sur mon lit, s’il le voulait. Il ne s’est pas fait prier.

En ce moment, il dort a poing fermé. Et moi, je ne sais pas quoi faire. Est ce que je lui dis la vérité, au risque de lui infliger un autre choc ? Où est ce que je continue à faire semblant de ne pas le connaître, tout en essayant de l’aider ? Et s’il se rend compte de la vérité, et que je lui ai tout caché depuis le début, que va-t-il penser ?

Rencontre du deuxième type

Humeur du jour : « I appear missing » par Queens of the Stone Age.

Quelle journée…. de DINGUE ! Je ne sais même pas trop par où commencer… et je me pose des questions sur ma santé mentale… Et pourtant…. c’est bien vrai… Il est là. Dans mon salon.

Bon… Reprenons par le début. Tout d’abord, je tiens à vous rassurer, je vais … relativement bien. Oui, j’étais dans cet accident de métro (d’ailleurs, qui a mis cet article sur mon blog ? Pas moi, j’étais hors service… ALORS QUI ?). C’était horrible. J’ai bien cru que j’allais mourir… J’étais tranquille, dans le métro en route vers Hyde Park, comme je vous l’avais dit. J’étais content, j’allais mieux, et j’allais me changer les idées. Et puis comme ça, d’un coup, une explosion, et la rame a commencé a se renverser sur le côté. Je me suis cogné violemment puis plus rien. Le noir complet. Je me suis réveillé quelques heures plus tard, à l’hôpital. Le médecin m’a dit que j’avais eu beaucoup de chance, je m’en sors avec une légère commotion. Ils m’ont gardé pour la nuit, histoire d’être sûr que tout allait bien, puis j’ai pu rentrer chez moi ce matin.

Là, on s’approche du moment le plus dingue de la journée. C’est sûr, vous n’allez pas me croire, mais tant pis. Je dois écrire tout ça. Pour ma propre santé mentale…

Pour retourner chez moi, il m’arrive de prendre un raccourci à travers la gare de Stratford. Stratford est un important hub de transport à Newham. Il s’agit notamment d’une gare de métro, d’une gare ferroviaire desservie par des trains de banlieue, ainsi que d’une gare routière. Cette gare est située à proximité du centre commercial Westfield Stratford City, et aussi près de chez moi.

J’étais donc en train de traverser cette gare avec un mal de tête horrible, comme si un gigantesque tambour battait dans ma tête, la rendant lourde et douloureuse. En approchant d’un couloir sombre et peu fréquenté, mon attention fut captée par des éclairs verdoyants accompagnés de bruits semblables à des décharges électriques. Intrigué, je me suis approché, ignorant les avertissements que ma raison me criait. Soudain, un bruit sourd suivit d’une voix d’homme, emplie de douleur, m’indiqua qu’un accident venait de se produire. Je me suis dirigé vers la silhouette qui gisait par terre en demandant si tout allait bien (question idiote, oui, je sais). Là, l’homme s’est levé. Il portait un jean et un sweat à capuche, qui était rabattue sur sa tête. Il devait faire un bon mètre 85, plutôt costaud… Il a enlevé sa capuche en se frottant le crâne et là, mon cœur a raté un battement. Ce mec était le portrait craché de Jake. Je veux dire… c’était exactement le Jake que j’avais imaginé en le créant… La quarantaine, les cheveux bruns, courts, bouclés… La barbe taillée, style balbo ( moustache et barbe séparées). Ses grand yeux noisettes… Cette cicatrice au dessus de l’œil gauche… Et surtout… surtout ce tatouage de tête de serpent sur sa main droite, qui terminait avec sa queue dépassant sur le côté gauche de sa nuque… L’homme portait un pull à longues manches, mais je pouvais aisément imaginer où le reste de corps du serpent se trouvait.. J’étais là, la bouche grande ouverte à balbutier « Mais…mais… ». Et lui aussi me dévisageait bizarrement… Il a regardé autour de lui, complètement perdu… Puis il m’a regardé encore…

-Je…a-t-il balbutié… mais on est où, là ??

-A Newham… gare de Stratford…

-Newham ??

-Bah oui Newham… A Londres… Tout va bien, monsieur ? »

Là, il est devenu complètement agité. « Londres !? », répétait il. « Londres !? Mais c’est pas… c’est pas possible !!!! LONDRES ??? ». Dans une autre circonstance je me serai doucement défilé, parce que le gars avait l’air complètement siphonné… Mais je ne pouvais pas… La ressemblance était trop frappante… J’ai essayé de le calmer.

« Allons… Respirez… Prenez votre temps, ca va aller… Si vous me racontiez ce qui s’est passé…?

-Ce qui s’est passé ? Je voudrais bien savoir, moi, ce qui s’est passé ! J’étais dans la rue près de chez moi, à Los Angeles… LOS ANGELES, aux ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE ! Puis j’ai vu une drôle de lueur verte sur le sol. Je me suis approché et… et la route s’est OUVERTE ! Je suis tombé dedans et je me suis retrouvé…. À LONDRES !??? »

La façon dont je le regardais n’arrangeait pas son état. « Oooh ! a-t-il dit, je vois bien que vous ne me croyez pas… Remarquez, je ne me croirais pas moi-même… Mondieumondieumondieu je suis devenu fou…? ».

Il fallait que je le rassure : »Ecoutez… je vous crois. Vraiment. J’ai vu cette lumière verte dont vous avez parlé… Je vous ai pour ainsi dire vu tomber de ce plafond qui… semble fermé…maintenant… ».

Il m’a regardé intensément « C’est vrai…? Vous me croyez…? ».

« Oui, ai-je répondu. Vous savez… Cette journée est assez folle pour que j’accepte des choses à première vue incompréhensibles…

-Ok…a-t-il marmonné, apparemment soulagé… Puisqu’on est à Londres, il faut que je voie ma soeur… Elle habite… Hampstead…

-Wow, mais c’est à l’autre bout de la ville, ça… Vous avez de quoi prendre le train ou le métro au moins ?

-Heu… des dollars… ».

Ma tête commençait à vraiment me faire mal. Et puis, l’allure, la ressemblance de ce mec avec Jake me troublait vraiment… Je voulais rentrer chez moi, mais je voulais aussi l’aider et si possible tirer au clair cette histoire de dingue…

« -Ecoutez… Je suis plutôt fauché en ce moment, je ne peux pas vous payer le voyage jusque là-bas… Mais si vous voulez, vous pouvez venir chez moi… Vous téléphonerez à votre sœur, et là, on avisera… ».

Son regard s’est instantanément adoucit. Il m’a sourit et m’a dit « Merci. Ca me touche, ce que vous faites.

-Avec plaisir… Au fait, je m’appelle Joey.

-Enchanté. Je suis Jacob. Mais appelez moi Jake. ».

Je n’ai rien dit. J’ai tout fait pour rester stoïque. Mais là, je savais que ma vie avait pris un sacré tournant.

(à suivre)

Accident de métro à Londres

Londres, Royaume-Uni – Un accident de métro s’est produit sur la ligne Central entre Oxford Circus et Marble Arch le samedi 16 septembre 2023.

L’accident s’est produit vers 10h00 heure locale. La cause de l’accident est encore en cours d’enquête, mais il est supposé que le train ait déraillé.

Selon nos sources, plusieurs blessés ont été signalés, mais il n’y aurait aucun décès, l’information reste à confirmer. Les blessés ont été transportés dans des hôpitaux locaux pour recevoir des soins.

La ligne Central a été fermée entre Oxford Circus et Marble Arch pendant plusieurs heures pendant que les équipes d’urgence travaillaient pour dégager les lieux. La ligne a depuis rouvert.

Le Métro de Londres enquête sur l’accident et travaille pour prévenir de futurs incidents similaires.

La rame de métro prise juste quelques minutes après l’accident. Photo prise par un technicien qui a assisté à la scène.

Résurrection

Humeur du jour : « Space Song » par Beach House.

Hey. Ça y est, je commence à me sentir beaucoup mieux. Vraiment mieux. Quand je pense à quel point je me sentais mal hier, rien à voir avec aujourd’hui. Bon, je suis encore un peu somnolent et ma gorge me fait encore un peu souffrir, mais franchement, ça va.

Dès que je pourrai sortir, j’irai prendre l’air. J’adore me promener à Hyde Park. Je prendrai le métro et j’irai me balader parmi les écureuils. Bon, voilà, maintenant vous savez que je vis à Londres. Je parle français car je suis originaire de Belgique, de la région de Liège. J’y ai vécu jusqu’à mes 21 ans. Je suis venu visiter Londres à plusieurs reprises et je suis vraiment amoureux de cette ville. Je me débrouillais bien en anglais, mais mon but était d’être parfaitement bilingue. J’ai fait un échange inter-scolaire pendant un an. J’ai vécu chez les Smith (je vous promets qu’ils s’appelaient comme ça), une famille vraiment adorable… à part la grand-mère qui me détestait profondément. Je crois que c’est la vieille dame la plus vulgaire que j’ai connue. Elle ne savait pas prononcer une phrase sans l’accompagner d’un juron ou d’une insulte. Quand j’arrivais dans la pièce, elle roulait des yeux et disait « Aaaand here comes that little twit! » sous le regard médusé et désolé de Mme Eleanor Smith, sa fille, qui était tout le contraire de sa mère. Mr Smith, George de son prénom, appréciait ma présence et riait beaucoup avec moi. Il se moquait de sa belle-mère en me lançant des clins d’œil, ce qui avait pour effet de la rendre complètement chèvre. Quand je les ai quittés pour retourner chez moi, la vieille m’a dit, texto : « Too bad you’re leaving. I liked you. Now get out, you little bastard! »

Bref, j’ai terminé mes études de bachelier en traduction et interprétation et je n’ai pas tardé à venir vivre ici, dans un minuscule appartement à Newham, après, bien sûr, avoir décroché un poste de traducteur à la Greater London Authority (l’administration de Londres).

Je sais, vous vous dites « Et sa mère alors ? Il a laissé sa pauvre mère toute seule ? ». Bien sûr que non, voyons. Ma mère s’est mariée il y a une dizaine d’années avec un chic type, et ils coulent des jours heureux ensemble. Je retourne les voir une fois de temps en temps, quand mon budget très serré me le permet.

Aujourd’hui, j’aime ma vie. Je peux me sentir parfois un peu seul, loin de chez moi, mais il m’arrive de voir des amis et de passer de bons moments. Et puis, je suis de toute façon assez solitaire. J’aime rester seul et écrire.

Mais demain, je vais sortir de cet appartement, mettre enfin le nez dehors et respirer le grand air.

A demain, si tout va bien.

La page blanche

Humeur du jour : « Ode to the Mets » par The Strokes.

Salut tout le monde. C’est pas encore la forme. J’ai dormi la plus grande partie de la journée. J’ai encore beaucoup pensé à ce rêve bizarre. D’habitude, à quelques exceptions près, j’oublie assez vite mes rêves. Mais là, je ne sais pas… Les images… restent gravées dans ma mémoire. Et puis toute cette peine… toute cette culpabilité… C’était…étouffant…

Bref, pour me changer les idées, j’ai un peu fouillé dans mes anciennes nouvelles. J’en ai trouvé une qui pourrait vous plaire. Je vous la laisse ici, parce que je ne suis pas encore assez retapé pour parler avec vous. Promis, la prochaine fois, on pourra papoter.

Je vous laisse donc avec « La page blanche », une nouvelle que j’ai écrit il y a des années. Bonne lecture. Et à demain, si tout va bien.

La page blanche.

Beaucoup d’écrivains, sinon tous, se sont déjà retrouvés dans la situation dans laquelle je me trouve en ce moment. Ce moment assez frustrant où on voudrait écrire, commencer une histoire, la finir… Mais rien ne vient. Nada. Quedal. On appelle ça « la page blanche ». Mais vous le saviez déjà.

Le hic, c’est que je dois rendre mon manuscrit dans une semaine. J’ai signé un contrat avec une maison d’édition pour un projet de nouvelles policières. J’étais sûr de pouvoir assurer cinq histoires bien ficelées, empreintes de mystère et d’énigmes compliquées. Mais là, il m’en manque une. Et inutile de vous dire à quel point je rame.

Quand je suis dans cet état, je dois avouer que mon humeur est exécrable. Un vieux chien bougon serait de meilleure compagnie. Pas étonnant que ma femme et ma fille aient décidé de partir ce week-end chez mes beaux-parents, dans le nord. Me voilà donc seul, face à cette page qui se remplit, certes, mais non pas avec une histoire qui fera date et contribuera à mon succès.

Quelqu’un vient de sonner à la porte. Quand je suis allé ouvrir, personne ne se trouvait sur le perron. Il y avait juste un paquet emballé dans du papier kraft. L’adresse est la bonne, mais pas le nom… Il n’y a aucun « Jarvis Macmallow » qui vit ici. Peut-être est-ce le nom du propriétaire précédant. Quand nous avons acheté cette maison, l’agent immobilier nous a dit que l’homme qui vivait ici avant a disparu, ne laissant aucune trace. Sa voisine (qui est aussi la nôtre, logique) s’étonnait de ne plus le voir depuis un moment. Elle savait qu’il sortait rarement, mais régulièrement quand même. Cependant, ça faisait deux semaines qu’elle ne l’avait plus vu. D’un naturel curieux, elle était venue frapper chez lui. Pas de réponse. Elle avait alors regardé par les fenêtres et elle était même entrée par la porte de derrière, l’appelant et profitant de l’occasion pour explorer ce lieu où vivait cet homme bizarre qu’on ne voyait presque jamais et qui n’adressait la parole à personne. Elle redoutait de sentir une odeur déplaisante avant de découvrir le cadavre de son voisin grouillant de vers. Mais au lieu de cette épouvantable éventualité, elle avait découvert un lieu presque vide, au mobilier simple, sans décoration. A vrai dire, on aurait pu difficilement croire que quelqu’un vivait réellement dans ce lieu sans vie. Elle avait alors appelé la police, qui après enquête n’avait trouvé personne de sa famille. Personne ne semblait le connaître réellement. C’était comme s’il n’avait jamais vraiment existé. Après de longues et infructueuses recherches, on avait alors mis la maison en vente et nous l’avions acquise pour une bouchée de pain.

Je suis donc allé trouver Madame Cuddle, notre chère et curieuse voisine, pour lui demander si elle connaissait un certain « Jarvis Macmallow ». Elle a fait des yeux ronds et m’a confirmé que c’était l’ancien maître des lieux.

J’ai décidé d’ouvrir ce paquet. Je me suis dit que si le véritable destinataire du colis revenait, je pourrais toujours dire que je n’ai pas vu de suite que le paquet ne m’était pas destiné. « Mensonge éhonté », me hurle ma conscience. C’est toujours mieux que de lui dire : « Monsieur Macmallow ! Ca alors, vous n’êtes pas mort ? ».

J’ai commencé par secouer la boîte. Il y a eu un bruit semblable à celui d’un grelot. J’ai déchiré le papier kraft qui recouvrait une boîte de carton scellée par du ruban adhésif. Après avoir lacéré celui-ci, je l’ai enfin ouvert et je me suis figé. Il y avait une tête de clown qui semblait me regarder du fond du colis. Une tête blanche, avec un sourire rouge sang et des petits yeux cernés de noir. Ses sourcils fins étaient arqués dans une arabesque grimaçante, le rendant malveillant plutôt qu’amical. Un bicorne rouge et noir couronnait le tout, avec un petit grelot à chaque extrémité. Cette petite tête de plastique avait dû appartenir à une poupée. Il faut être dingue pour offrir ce genre de poupée à un enfant… Moi, clownophobe ? Peut-être. Je sais juste que je déteste les clowns. N’y voyez ici aucun traumatisme dû à un quelconque événement qui se serait passé dans mon enfance. C’est juste qu’on ne voit jamais vraiment qui se cache derrière le maquillage d’un clown. Un clown semble toujours sourire, même si en fait, sous son masque bienveillant, se cache un être nourri de mauvaises intentions. Il y aurait peut-être matière à débattre avec un psy, mais je vis très bien avec cette phobie. Sérieusement, on ne rencontre pas des clowns à tous les coins de rue. Je n’avais juste pas prévu d’en rencontrer un dans mon salon.

Il y avait un bout de papier plié en quatre à côté de la tête de Bozo. Je l’ai déplié. Un message, pas très amical : « Je t’ai enfin trouvé. Tu es mort. » Décidément… Qu’avait fait ce Jarvis pour recevoir ce colis si… déplaisant ?

Mal à l’estomac, j’ai vite remis ces petites choses méprisables dans leur boîte et j’ai jeté celle-ci derrière le canapé, pour ne plus la voir. Je sais, j’ai parfois des réactions bizarres, mais sur le moment j’ai fait ce qui me semblait le mieux.

Ces événements m’ont donné mal à la tête. Pour ne rien arranger, j’ai l’impression d’étouffer. Il faut que je sorte un peu, que je me change les idées…

***

Me voilà revenu devant mon ordinateur et ce texte qui, au lieu d’être une histoire de tueur en série, est en train de devenir mon journal intime. Je pourrais effacer tout ce que j’ai écrit cet après-midi, mais là, je ne peux plus. Il se passe des choses vraiment bizarres depuis que j’ai reçu cette maudite boîte…

Je suis donc parti tout à l’heure, pour souffler un peu. Je me suis dit aussi que je trouverai peut-être un peu d’inspiration dehors. J’ai coupé par le parc. Il faisait beau, j’ai même pu enlever ma veste. J’ai croisé un homme qui promenait son chien, un basset hound, le même chien que celui de Colombo. Des enfants roulaient en vélo avec leur père. Une vieille dame était assise sur un banc, émiettant du pain pour le donner à des pigeons. Bref, une scène de parc, quoi…

Je suis sorti du jardin public et je me suis dirigé vers le centre-ville. J’avais l’intention de marcher sans but réel quand j’ai rencontré Owen, mon meilleur ami. Je le connais depuis le secondaire. Comme ça faisait longtemps qu’on ne s’était plus vus, on en a profité pour aller boire un verre.

Une bonne heure et demie plus tard, je suis rentré chez moi. Le ciel commençait à s’assombrir, recouvrant la ville d’un lourd couvercle sombre et impénétrable. On allait encore avoir droit à une pluie qui allait s’installer pour un moment. J’ai hâté le pas, à la fois pour ne pas me retrouver trempé mais aussi parce que je voulais réessayer d’écrire. J’étais déterminé à me mettre devant mon ordinateur dès que je serais à la maison, sans perdre de temps. Arrivé devant chez moi, j’ai entendu le téléphone qui sonnait. Je me suis dépêché d’ouvrir la porte d’entrée avec ma clé mais je suis arrivé trop tard. Quand j’ai décroché, mon correspondant n’était plus en ligne. Puis quelque chose a attiré mon regard et j’ai cru être victime d’hallucinations.

La boîte se trouvait sur la table basse, bien en évidence.

Quand on lit des romans noirs et que le héros connaît la peur, la vraie, l’écrivain décrit son état en disant que son cœur « cogne à tout rompre dans sa poitrine », que le souffle lui manque, que ses cheveux se dressent dans sa nuque, etc. … Mais il n’y a pas de mots assez forts pour décrire la peur panique qui s’est emparée de moi à la vue de cette boîte. J’étais comme figé. J’avais des fourmis dans les jambes, les mains moites et froides et les pulsations de mon cœur battaient dans mes tempes, laissant s’immiscer un mal de tête bourdonnant. Ma respiration était saccadée, j’avais littéralement l’impression d’étouffer.

Quelqu’un – que je ne connais pas – s’est introduit chez moi. Et cette personne était peut-être encore là. Connaissant le contenu du colis, je n’avais pas trop envie de la rencontrer.

On était seulement au milieu de l’après-midi, mais avec ce temps, il faisait sombre. Le silence dans la maison était pesant. Je me suis dirigé à pas feutrés vers la cuisine. J’ai pris ce couteau avec lequel ma femme tranche certains légumes, ce genre de couteau à la lame longue et large, comme dans ces films d’horreur. Je n’avais pas l’intention de m’en servir, je voulais juste dissuader un quelconque agresseur.

J’ai fait le tour du rez-de-chaussée mais je n’ai rien trouvé. Je m’apprêtais à monter l’escalier pour vérifier l’étage quand j’ai vu une ombre derrière la grande fenêtre du salon. Le cœur battant, mais déterminé à défendre ma maison (et ma vie, en fait, avant tout), j’ai ouvert le rideau d’un geste large en montrant bien l’arme que j’avais en main. Je me suis retrouvé devant une Madame Cuddle blême, la bouche ouverte et les yeux écarquillés.

J’ai ouvert la porte d’entrée, à la fois désolé d’avoir infligé une telle frayeur à cette gentille vieille dame, quoiqu’un peu trop curieuse, et énervé, précisément par cet aspect fouineur de sa personnalité.

Elle a bafouillé des excuses, promettant qu’elle n’espionnerait plus jamais ma maison. La pauvre petite vieille tremblait. Je me suis excusé aussi pour cette frayeur et lui ai assuré que je n’en avais pas après elle.

– Ah ! Donc vous êtes au courant qu’un homme s’est introduit chez vous ? C’est lui que je surveillais ! m’a-t-elle dit, visiblement rassurée.

– Un homme ? ai-je demandé. Vous l’avez vu ?

– Oui ! Un jeune homme, grand et plutôt costaud. Il est rentré chez vous par la porte de derrière ! J’ai d’abord pensé que c’était un de vos amis, mais pour m’en assurer, je vous ai téléphoné. Comme vous n’avez pas répondu, j’ai décidé de venir jeter un coup d’œil…

Je lui ai dit de ne pas se tracasser, que cet homme semblait avoir quitté les lieux quand elle avait téléphoné, ou bien m’avait-il vu arriver. Je n’étais pas sûr de ce que disais, mais mon but était qu’elle rentre chez elle et qu’elle se mette à l’abri. Je lui ai assuré que j’appellerai la police et elle m’a quitté, soulagée.

J’avais bien l’intention de téléphoner pour signaler que quelqu’un s’était introduit chez moi, mais avant, je ne sais pas pourquoi, j’ai voulu aller voir à l’étage s’il était bien parti. Je suis monté, lentement. Les marches de bois craquaient sous mon poids, ce qui ne m’arrangeait pas du tout. Arrivé en haut, je ne savais pas trop par où commencer mes recherches. Notre chambre ? Celle de notre fille ? J’ai opté pour la nôtre, un éventuel voleur irait directement dans la chambre où il était le plus probable que les occupants cachent leur magot. On place rarement des billets sous le matelas d’un enfant…

Je me suis donc faufilé vers la pièce, passant devant la salle de bain. C’est là que j’ai entendu un bruissement derrière moi et avant de me retourner, quelque chose de lourd a heurté ma tête. Je me suis écroulé, l’esprit embrouillé, croyant que ma tête venait d’exploser.

J’ai fait ce rêve. Ce rêve que je fais fréquemment depuis un moment. Je suis dans mon lit, je dors paisiblement. Puis un homme se matérialise devant moi. Grand, maigre, il doit avoir une soixantaine d’années. Il a les cheveux blancs, une barbe négligée et il me regarde, sans rien dire, avec ses yeux enfoncés dans son crâne. Je ne sais pas qui c’est et ça me rend nerveux. J’essaie de bouger. D’habitude j’y arrive et c’est toujours le moment où je me réveille. Mais cette fois-ci, pas moyen d’exécuter un seul mouvement. C’est comme si de long bras m’enserraient. J’essaie de crier, mais quelque chose m’en empêche. Je suffoque.

C’est là que je me suis réveillé. Je n’étais pas dans mon lit mais sur la chaise qui se trouve habituellement à côté de la commode, dans notre chambre. J’étais ligoté, si fort que ma respiration en était gênée. Un foulard me bâillonnait. Ma tête me faisait un mal de chien et j’avais envie de vomir, sans doute à cause de ce goût de sang qui envahissait ma bouche, ma gorge et mon nez. J’ai eu du mal à ouvrir les yeux. Il y avait un homme devant moi, qui me regardait. Mais il n’avait rien de commun avec celui de mes cauchemars, à part la haute taille.

Il était plutôt jeune – pas plus de trente-cinq ans – et il était bien bâti, musclé même. Il avait l’air négligé : barbe de trois jours, une tache sur son t-shirt blanc, une casquette sale et usée enfoncée sur sa chevelure grasse qui retombait sur ses yeux et sa nuque. Je n’aimais pas la façon dont il me regardait. Il y avait de la folie dans ses yeux. Et, pour ne rien arranger, il tenait mon couteau dans sa main tremblante.

– T’es qui, toi ? a-t-il demandé.

J’ai répondu que c’était à lui de se présenter et qu’il était chez moi, mais au travers de mon bâillon, ça a plutôt donné un truc du genre : »Mhfmffmfh ! Mhfmfmfmhmhmffmm ! ».

– Tu n’es pas ce fumier de Jarvis ! Où se cache-t-il ?

Il semblait de plus en plus nerveux, désorienté. Pour ma part, cette douleur aiguë, supportable au début, me vrillait maintenant la tête. Mes oreilles sifflaient. Je ne comprenais pas, au début, de quoi il parlait… « Jarvis » ?

Et puis, soudain, j’y voyais plus clair. C’était sans doute lui qui avait envoyé le colis avec le message de menace… Il pensait avoir retrouvé ce Jarvis, qu’il voulait apparemment tuer, mais il s’était retrouvé face à un parfait inconnu.

Soudain, un bruit, en bas. Une porte qui claque, des pas… Mon sang s’est figé dans mes veines. J’ai pensé que ma femme et ma fille étaient rentrées plus tôt. Mon agresseur a regardé la porte de la chambre, les yeux écarquillés. Puis il a tourné la tête vers moi, l’air mauvais.

– On dirait qu’on a de la visite… Je vais les accueillir à ma façon, puis je reviendrai m’occuper de toi, a-t-il soufflé avant de sortir en emportant le couteau avec lui.

Une frénésie désespérée s’est emparée de moi. Je m’agite comme un pantin ridicule sur cette chaise pour me libérer, tant et si bien que celle-ci finit par s’effondrer sous mon poids dans un craquement sinistre. Je me retrouve là, saucissonné par terre, hurlant à travers mes entraves, des larmes de désespoir et de frayeur se mêlant au sang qui suinte de ma tête…

Il y a eu des bruits de lutte en bas et j’ai entendu monsieur Psychopathe pousser un cri, des choses se casser, puis plus rien. Un silence glacial envahit l’air, comme l’anéantissement s’emparait de tout mon être. Des bruits de pas, lourds, dans les escaliers, m’annonçaient qu’il revenait, que ma fin était proche. Tant pis. Si ma famille avait connu la fin tragique que je redoutais, je préférerais en finir le plus vite possible.

La porte s’ouvre, lentement. Et là, je crois basculer dans la folie. Devant moi, me regardant de toute sa hauteur, se tient l’homme de mes cauchemars. Son visage, impassible, est strié de rides profondes sur le front et autour de la bouche. Sa barbe et ses cheveux, d’un blanc jaunâtre entourent son visage, le rendant encore plus froid. Ses longs bras maigres sont immobiles le long de son corps quasi squelettique. Et dans l’une de ses grandes mains osseuses, il tient mon couteau.

Une enjambée lui suffit pour être près de moi. Il brandit la lame et l’approche de mon visage. C’est fini. Adieu.

Mon bâillon tombe mollement par terre. Mais pas de douleur, pas de sang chaud qui coule sur ma joue. Juste mes larmes. J’ouvre lentement les yeux.

– Du calme, je ne te tuerai pas, me dit l’homme d’une voix profonde. Tu n’as plus rien à craindre, celui qui t’a fait subir tout ça ne te nuira plus.

– Vous… Qu’est-ce que… Qui êtes-vous ?

– Avant de répondre à tes questions, je dois te présenter mes excuses. C’est de ma faute si tu as connu ces derniers événements. Ce jeune homme qui t’a agressé pensait me trouver, moi.

– Jarvis Mcmallow !

– Oui. C’est moi. À une époque, j’étais tueur à gages. Ce jeune homme, là-bas, est le fils d’un homme que j’ai abattu, il y a une quinzaine d’années. Une véritable crapule. Je n’ai eu aucun remords à m’occuper de lui. Par contre, je n’avais pas prévu que son petit garçon assisterait à tout ça. Il en faudrait moins pour rendre quelqu’un complètement fou. Je présume qu’il voulait venger son père. La tête de clown que tu as reçue à ma place appartenait à un jouet qu’il traînait avec lui lorsqu’il a vu son père mourir. Il a sans doute voulu me signifier que j’ai gâché son enfance.

– Mais c’est horrible, protestais-je ! Après tout ce qu’il a subi, par votre faute, vous l’avez tué !?

– Je n’ai jamais dit que je l’ai tué. Je ne tue plus depuis longtemps. Je l’ai juste assommé et menotté à ton radiateur.

– Pourquoi me racontez-vous tout ça ? Je veux dire… Vous vous doutez bien que je pourrais appeler la police et tout balancer !

– C’est pour cela que je ne t’ai pas détaché… Quand je serai parti, que je serai assez loin, j’appellerai la police et ils viendront s’occuper de tout.

– Une dernière chose… Comment se fait-il que j’aie déjà rêvé de vous, alors que je ne vous ai jamais vu ?

– Peut-être parce que je suis déjà venu ici plusieurs fois m’assurer que toi et ta famille ne subissiez pas les conséquences de tout ce que j’ai commis. Mais ne t’inquiète pas, tu ne me verras plus jamais.

Après ces mots, il sort de la chambre et le silence reprend le premier rôle. Quelques longues, très longues minutes plus tard, j’entends les cris stridents des sirènes de police, qui viennent me libérer de mon calvaire.

Des policiers et des ambulanciers débarquent dans ma chambre. Un homme d’un certain âge, répondant au pseudonyme de l’inspecteur Alibar, me pose quelques questions. Il est apparemment chargé d’une enquête visant Jarvis. Ça fait des années qu’ils n’ont plus de nouvelles de lui.

L’homme qui m’a agressé est emmené par les policiers. Je suppose qu’il va se faire examiner par un psy. Tout ce que je demande, c’est de ne plus jamais les voir, lui et Jarvis.

Depuis ces événements, ma femme m’a appelé, folle d’inquiétude, m’assurant qu’elle et ma fille reviennent dès que possible. Pour ma part, malgré tout ça, je me sens plutôt bien. Ce Jarvis, même s’il est responsable de tout ça, m’a protégé comme il a pu. J’espère quand même que la police le trouvera.

Pour ce qui est de ma dernière nouvelle, et bien, qu’en pensez-vous ? Mon problème semble réglé, non ?

Flemme délirante

Humeur du jour : « The Funeral » par Band of Horses.

Salut. Toujours sous Covid. Je me suis levé ce matin, j’ai bu un café, puis je me suis recouché, épuisé, pour me réveiller 4 heures après, en me demandant où j’étais, et avec l’impression de n’avoir pas assez d’énergie pour lever la tête… Le plus troublant c’est qu’avec la fièvre, j’ai fait un rêve vraiment bizarre. J’ai rêvé de Jake. Il y avait une espèce de porte, ou plutôt un trou, dans un mur de la gare à laquelle je prends mon train pour aller travailler. Un trou entouré d’éclairs verts, d’éclats, comme si du feu de couleur verte jaillissait du contour de cette porte. Et de l’autre côté, il y avait un homme qui me regardait. Jake. Exactement comme je me l’imagine : grand, costaud, avec une de ces barbes bien coupée, les cheveux court, bruns et bouclés, le tatouage de serpent qui s’enroule autour de son bras. Il me regardait d’un air triste. Et j’ai ressenti ce qu’il ressentait. De la peine et des remords. Je voulais… je voulais aller le retrouver, je voulais l’aider, mais j’étais comme figé et aucun son ne sortait de ma bouche. Je me suis réveillé en sursaut… J’étais trempé de sueur et de larmes. Ce rêve m’a bouleversé. Je sais que ce n’était qu’un rêve. Mais c’était si réel… Bon je vous laisse. A demain, si je veux bien…